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5 min

Les green bonds, une solution sur-mesure pour le financement d’une économie plus durable ?

Vous entendez beaucoup parler des green bonds en cette fin d’année 2024? Et pour cause, avec l’entrée en vigueur du “European Green Bond Standard”en décembre, ils sont au cœur de l’actualité réglementaire.
Rédigé par
Raphaèle Védy
Publié le
27/11/2024

Les green bonds sont des émissions obligataires ayant pour objectif de financer un projet ou une activité à bénéfice environnemental. Ils possèdent en ce sens le potentiel de contribuer au financement d’une économie plus durable de façon très concrète. Comment les intégrer dans une stratégie d’investissement de manière pertinente ? Et comment s’assurer de l’impact des projets financés ?Thomas Coudert, Head of Sustainability for Core Investments chez AXA IM, a eu l’occasion d’aborder tous les aspects de la gestion des green bonds et partage son regard d'expert sur le sujet.

Un marché dynamique et exclusivement consacré aux projets verts

Les green bonds - ou obligations environnementales ou vertes en français- sont des instruments financiers qui dirigent les capitaux vers des projets nouveaux ou existants ayant des caractéristiques positives d’un point de vue environnemental. Un green bond peut être émis par une entreprise, une organisation internationale ou une collectivité locale et peut concerner une large gamme de projets (transports bas carbone, efficience énergétique des bâtiments, énergies renouvelables, etc.).

Le marché des green bonds a connu une croissance exponentielle entre 2007 - date de l’émission de la première obligation verte par la Banque Européenne d’Investissement et la Banque Mondiale - et 2024. La Climate Bonds Initiative (CBI) estime à plus de 600 Md$ la valeur des green bonds émis entre janvier et novembre 2024, et les green bonds représentent 12% du marché obligataire global d’après les données du rapport trimestriel de l’International Capital Market Association (ICMA). Selon ce même rapport, l’Europe demeure le chef de file en matière d’obligations environnementales puisque 52% de la valeur totale des green bonds provient d’émetteurs européens. Elle est suivie par les institutions supranationales, qui sont à l’origine de 18% des titres, de l’Asie(17%) et de l’Amérique du Nord (10%).

Cependant, de nouveaux pays s’approprient ce type d’obligations, et le profil des émetteurs de green bonds se diversifie progressivement. ThomasCoudert explique : « Au cours des dix dernières années, le marché des obligations vertes a connu une croissance exceptionnelle,marquée par un niveau élevé de diversification des émetteurs et une liquidité accrue. Cette diversification est appréciée par les investisseurs, car elle leur permet de mieux répartir le risque de leurs portefeuilles, de garder un lien avec l’économie réelle tout en finançant la transition. »

Les green bonds ont donc assurément un rôle à jouer dans le développement de projets verts. Cependant, Thomas Coudert souligne l'existence de certaines limites au développement des green bonds : « Certains acteurs de l’économie n’ont pas la taille et la quantité de projets verts pour financer le montant d’une émission « benchmark » de 500 à 1 000 millions d’euros. Il est pourtant crucial de leurs apporter les financements pour réaliser leurs transformations. »

Malgré ces défis, les perspectives restent très positives. Thomas Coudert conclut : « Le marché devrait continuer à grandir, avec de nouveaux acteurs et le développement de la réglementation. »

 

Quelle est la place de la réglementation?

Un cadre réglementaire limité à des standards

A l’exception du “European Green Bond Standard” de l’Union Européenne, qui devrait entrer en application le21 décembre 2024, il n’existe aucun texte des régulateurs consacré à l’émission d’obligations vertes. Le marché s’est donc largement structuré autour des “Green Bond Principles” (GBP) de l’ICMA et du “ClimateBonds Standard and Certification Scheme” de la CBI.

L’ICMA a tout particulièrementcontribué à l’établissement d’une définition des green bonds en élaborant les GBP. Ce document définit quatre critères indispensables à la catégorisation d’une obligation verte :

  • L’allocation des fonds vers des projets ayant un bénéfice environnemental. Ce concept est appelé “Use of Proceeds” ;
  • La procédure de sélection et d’évaluation des projets : établir une méthodologie de sélection des projets claire et transparente ;
  • La gestion des fonds : mettre en place une procédure garantissant que les fonds levés par l’émission financent effectivement les projets présentés ;
  • Le reporting : publier en amont, en aval et annuellement des rapports permettant de suivre l’évolution des projets et des KPI pertinents.

L’allocation des fonds vers des projets “verts” est la pierre angulaire des Green Bond Principles et fait toutela spécificité des obligations vertes. Cela implique de diriger les fonds levés par l’émission obligataire vers des projets verts éligibles - c’est-à-dire des projets permettant de donner lieu à des bénéfices environnementaux clairs. Parmi les 10 catégories de projets verts éligibles définies par l’ICMA, ontrouve par exemple les énergies renouvelables, la prévention et le contrôle dela pollution ou encore les bâtiments alignés sur les standards régionaux, nationaux ou internationaux de performance environnementale.

Sur le marché, l’alignement sur les standards en vigueur permet aux entreprises de valoriser leur image, d’améliorer leur accès au financement et potentiellement de bénéficier d’un coût du capital plus faible. Néanmoins, l’émission d'un green bond représente un coût supplémentaire pour les émetteurs qui doivent produire une variété de documents (Green Bond Framework, rapports annuels, rapport ex-ante et ex-post,etc.) et s'assurer de l'adéquation de l'émission aux standards via un audit externe.

 

Des standards à géométrie variable ?

En plus des Green Bonds Principles,on assiste aujourd’hui au développement de textes normatifs nationaux ou régionaux destinés à encadrer les émissions de green bonds. La plupart de ces textes sont construits à partir des quatre critères des GBP de l’ICMA, qui font figure de référence sur le marché obligataire : c’est notamment le cas duStandard de CBI, qui détaille chacun des critères définis par l’ICMA avec précision en s’appuyant sur une Climate Bonds Taxonomy, mais aussi du “Green Bond Standard” de l’ASEAN, des “Green Debt Security” du SEBI Indien ou des “Green Bond Guidelines” japonaises. Ces différents standards adaptent la liste des catégories projets verts éligibles à leur contexte local. Leurs catégories sont souvent très proches de celles de l’ICMA, mais elles comportent des différences sur certains critères.

Seul l’EUGBS se démarque du paysage des standards par son encadrement très rigoureux de la nature des projets financés, d’une part, et par l’utilisation de documents de transparence et d’indicateurs standardisés, d’autre part. Ainsi, pour respecter ce framework, 85% au moinsdes fonds doivent être alloués à des actifs, CAPEX ou OPEX alignés à laTaxonomie Européenne. Les 15% restants correspondent aux projets ou actifs éligibles à la Taxonomie mais pour lesquels les critères de sélection techniquene sont pas encore publiés. Ce point de divergence peut avoir des conséquences significatives sur les titres, puisque la Taxonomie Européenne est un cadre d’analyse très exigeant et qui repose sur des arbitrages très politiques -notamment sur des sujets comme le gaz, le nucléaire ou l’aviation.

Le niveau d’exigence était encore plus élevé dans la première proposition de l’EUGBS : à l’origine, le standard devait être obligatoire et la documentation devait inclure un plan annuel d’alignement à la Taxonomie. Cette proposition a été critiquée par l’ICMA, qui écrit que “[en l’état] seules les organisations européennes qui pourraient se sentir obligées de respecter ce standard consacreraient les moyens nécessaires à son obtention”. L’Association a ajouté que, vu les contraintes, les autres émetteurs pourraient changer de source de financement ou accéder à la finance durable dans d’autres juridictions. Pour que l’EUGBS demeure unstandard accessible, cette proposition a été modifiée. Les premiers green bonds européens volontaires sont donc attendus très prochainement, notamment de la part des banques et des services aux collectivités.

Ainsi, puisque chaque standard intègresa propre définition d’un projet vert, il est possible d’observer des différences dans le périmètre des projets financés par green bond. Ce constat représente un premier point d’attention pour les investisseurs.

Différentes définitions des projets ayant un bénéfice environnemental

Les projets verts éligibles ne sont pas identiques d’un standard à l’autre : ils reposent sur des taxonomies sous-jacentes différentes qui ont des méthodologies propres d’examen des activités éligibles.

Le retraitement des certifications par les fournisseurs de données constitue un second point d’attention. En effet, les standards en vigueur servent de base à la classification et au regroupement des titres par différents data providers ou organisations publiques. Dans ces bases dedonnées, les obligations sont qualifiées de green bonds en fonction des standards avec lesquels ils déclarent être alignés et/ou en fonction del’analyse du data provider sous-jacent. Le périmètre des green bonds intégrés peut donc être élargi ou réduit au-delà des titres certifiés.

Différentes méthodologies de traitement et de catégorisation des titres par les fournisseurs de données privés ou publics

Les méthodologies de traitement et de catégorisations des titres sont hétéroclites: certaines obligations peuvent être qualifiées de “vertes” par certains organismes mais être exclues d’autres jeux de données.

L'analyse anti-greenwashing des obligations vertes

Compte tenu de la diversité des standards, des titres et des émetteurs, une analyse qualitative et quantitative de chacune des obligations vertes est devenue indispensable pour les investisseurs.

Thomas Coudert explique qu’AXA IM a développé un cadre d’analyse propriétaire qui porte non seulement sur le bénéfice environnemental des projets financés, mais aussi sur la stratégie ESG de l’émetteur pour détecter les émissions"opportunistes" et prévenir le risque de greenwashing. Il ajoute : « Il faut analyser l’émetteur pour s’assurer de sa stratégie ESG et pour confirmer que l’émission est bien cohérente avec sa trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cette analyse pourrait par exemple filtrer un acteur économique sans stratégie de sortie des énergies fossiles et émettant une obligation pour financer des panneaux solaires pour un faible pourcentage de son chiffre d’affaires. »

L’étude de la nature et des impacts des projets financés par l’obligation vient ajouter une seconde couche de vérification à cette analyse. Enfin, l’engagement de l’émetteur à flécher l’allocation des fonds et àreporter régulièrement sur l’évolution de ses projets peut constituer un filtre de sélection supplémentaire. Cet engagement permet à l’investisseur d’obtenirdes informations chiffrées pertinentes pendant toute la période de détention etdonc de mieux piloter sa stratégie d’investissement, de suivre l’évolution del’impact des projets et de rassembler les données nécessaires à l’élaborationde ses reporting avec davantage de facilité.

  

Quid de la transition ?

Le marché des green bonds est aujourd’hui mature, et on assiste à une standardisation des projets et des indicateurs d’impact qui leur sont associés. Toutefois, les green bonds se confrontent aujourd’hui aux enjeux de financement de la transition puisqu’ils ne prennent en compte que les projets et lesentreprises déjà avancés dans leur transition et excluent les projets et les émetteurs “non verts” mais qui tendent vers cette ambition. Cette limitation pose un défi majeur : comment financer la transition des secteurs et des entreprises qui en ont le plus besoin ? Thomas Coudert souligne l'importance d'élargir la perspective : « Pour financer la transition des Etats etdes entreprises, il faut prendre en compte d'autres types d'instruments. » Or, avec l’urgence environnementale croissante se pose la question de la transition des entreprises vers un modèle plus durable.

Les standards en vigueur ne permettent pas de diriger les fonds vers des projets dits “enabling”, puisque leur objectif est d’identifier les projets durables. A titre d’exemple, la Taxonomie Européenne prend partiellement en compte les activités de transition à travers les catégories d’activités dites “habilitantes” et “transitoires”. Cependant, le EUGBS requiert l’alignement total à la Taxonomie des activités financées, ce qui exclut de manière automatique ces activités de transition. Par ailleurs, certaines activités économiques sont susceptibles de participer à la transition environnementale sans être couvertes par la Taxonomie.

Les acteurs financiers ne disposent donc d’aucun outil ni indicateur leur permettant d’identifier les obligations porteuses de projets de transition crédibles sans s’exposer au risque de greenwashing.

Thomas Coudert précise ainsi que, pour toutes ces raisons, les acteurs financiers souhaitent voir se développer un cadre réglementaire plus orienté vers la transition. « Pour financer la transition - on appelle cela“closing the financial gap” - il faut pouvoir aller au-delà du financement de projets déjà verts. Il faut donc développer une réglementation qui inclut des instruments qui financent la transition tout en restant vigilant sur le risque de greenwashing. »

L’apparition de groupes de travail à ce sujet illustre ce souhait : l’ICMA a notamment publié en juin dernier un “Green Enabling Projects Guidance document” permettant d’aborder la question de la transition en définissant des “Green-Enabling Projects”.

L'enjeu est désormais d'accompagner cette évolution réglementaire avec des outils permettant aux acteurs financiers d’identifier et d’évaluer efficacement les projets de transition, au-delà des simples critères d'éligibilité actuels.

 

 

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