Notre baromètre se distingue par son approche qualitative et sa méthodologie rigoureuse, analysant jusqu'à 500 points de données par fonds. Cette démarche nous permet d'identifier cinq tendances majeures qui dessinent le paysage actuel de la finance durable et ses perspectives d'évolution.
Malgré les engagements croissants en faveur de la neutralité carbone, notre baromètre révèle que 83% des fonds n'ont pris aucun engagement public concernant leur sortie des hydrocarbures. Cette réticence à se désengager des énergies fossiles s'observe tant en Europe qu'aux États-Unis, avec respectivement 68% et 77% des fonds qui n'ont pas formulé d'engagement de transition vers une sortie progressive des hydrocarbures.
Plus surprenant encore, notre analyse met en lumière un paradoxe concernant les fonds Article 9, censés être les plus exigeants en matière de durabilité selon SFDR. Seuls 17% d'entre eux excluent les entreprises développant de nouveaux projets liés au charbon, au pétrole et au gaz, contre 22% pour les fonds Article 8. Cette situation interpelle, car on pourrait légitimement s’attendre à ce que les fonds Article 9, présentés comme les plus exigeants en matière de durabilité, adoptent des critères d’exclusion plus stricts.
Entre 2023 et 2024, la proportion de fonds excluant les entreprises impliquées dans de nouveaux projets liés au pétrole et au gaz n'a progressé que de 2 points, passant de 24% à 26%. Cette évolution marginale témoigne d'une inertie préoccupante face à l'urgence climatique et souligne que la route vers une finance véritablement alignée avec l'Accord de Paris reste encore longue.
L'engagement actionnarial s'est imposé comme une stratégie incontournable de la finance durable. Notre baromètre révèle que 84% des fonds ESG intègrent désormais l'engagement actionnarial dans leur stratégie d'investissement. Cette adoption massive témoigne d'une prise de conscience croissante : au-delà de l'exclusion pure et simple, l'accompagnement des entreprises dans leur transformation constitue un levier puissant pour accélérer la transition vers une économie plus durable.
Cependant, malgré cette adoption généralisée, 83% des fonds qui promeuvent l'engagement dans leurs annexes précontractuelles ne publient pas de rapport détaillé au niveau du fonds. Ce manque de transparence soulève des questions fondamentales sur l'efficacité réelle de ces politiques d'engagement et sur la crédibilité des démarches ESG.
Notre analyse révèle des différences significatives entre les régions en matière de transparence de l'engagement actionnarial. La France se distingue avec 35% de ses fonds publiant des rapports de dialogue, contre seulement 14% au Royaume-Uni et à peine 8% aux États-Unis. Cette avance française peut s'expliquer par l'existence d’initiatives encourageant à s’engager, comme le Label ISR. La réglementation SFDR 2.0 pourra également exiger des fonds de documenter leurs actions d’engagement.
Le contraste est également saisissant dans l'approche quantitative de l'engagement : les sociétés de gestion américaines engagent en moyenne 1169 émetteurs, soit près du triple des acteurs français (402). Cette différence quantitative masque une réalité qualitative : seulement 56% des gestionnaires américains intègrent le désinvestissement comme solution ultime dans leur processus d'escalade, contre 82% de leurs homologues européens. Plus révélateur encore, aucune société de gestion américaine n'inclut la dégradation de la note ESG dans son processus, comparé à 30% des acteurs européens. Cette approche américaine, privilégiant la quantité sans mécanismes d'escalade robustes limite temporelle ou conséquences prédéfinies, risque de transformer l'engagement en simple exercice de greenwashing plutôt qu'en véritable levier de transformation.
Notre baromètre 2025 met en lumière une réalité géopolitique majeure : l'Europe et les États-Unis suivent désormais des trajectoires radicalement différentes en matière de finance durable. 70% des fonds européens excluent les entreprises développant de nouveaux projets liés au charbon, contre seulement 38% aux États-Unis. Cet écart considérable illustre des approches fondamentalement différentes de la durabilité, ancrées dans des contextes politiques, réglementaires et culturels distincts.
Cette divergence s'accentue concernant les engagements de transition. Près de la moitié des sociétés de gestion européennes s'engagent concrètement dans la transition, notamment via une sortie progressive du charbon, contre à peine 1/5 aux États-Unis. La France maintient son leadership avec 88% de ses sociétés de gestion engagées dans cette transition.
L'un des phénomènes les plus marquants de ces dernières années est le désengagement massif des institutions financières américaines des principales coalitions climatiques internationales. Les six plus grandes banques américaines ont quitté la Net Zero Banking Alliance (NZBA) en 2024, tandis que plusieurs gestionnaires d'actifs majeurs, dont BlackRock, se sont retirés de la Net Zero Asset Managers Initiative (NZAM).
Ce mouvement de retrait s'inscrit dans un contexte politique américain de plus en plus hostile aux démarches ESG, caractérisé par l'adoption de lois anti-ESG dans de nombreux États républicains et la pression croissante des élus conservateurs sur les institutions financières. À l'inverse, bien qu'il y ait une volonté de simplifier certaines réglementations avec la loi Omnibus, l'Europe continue de renforcer son cadre réglementaire en faveur de la finance durable, creusant davantage ce fossé transatlantique.
Trois ans après son entrée en vigueur, le règlement SFDR s'apprête à connaître une transformation majeure. Cette refonte, communément appelée "SFDR 2.0", répond à un besoin crucial de clarification pour l'ensemble des acteurs du marché. La Plateforme Européenne de la Finance Durable a proposé une nouvelle classification des produits financiers articulée autour de trois catégories principales : "Durable", "Transition" et "Collection ESG".
Cependant, notre baromètre 2025 révèle un constat alarmant : aucun des 50 fonds étudiés ne répond aux critères des catégories “Durable” et "Transition" proposée dans le cadre de la refonte SFDR, et seulement 4% pourraient prétendre à la classification "Collection ESG". Cette inadéquation généralisée entre les pratiques actuelles et les futures exigences réglementaires soulève des questions fondamentales sur la faisabilité de cette transition réglementaire.
Concernant la catégorie "Transition", plusieurs obstacles majeurs ont été identifiés : seuls 8% des fonds s'engagent sur un objectif chiffré de réduction des émissions de gaz à effet de serre, 26% reportent une part d'alignement de leurs investissements à la taxonomie supérieure à 1%, 32% publient des reporting quantitatifs sur les PAI obligatoires, et aucun n'effectue une comparaison avec un indice climatique européen.
Pour la catégorie "Collection ESG", la situation est à peine meilleure, avec seulement 2 fonds sur 50 qui satisfont l'ensemble des critères requis. Paradoxalement, ces deux fonds sont actuellement classés Article 9, alors que la "Collection ESG" semble conceptuellement plus proche de l'Article 8.
Face à la complexité croissante des exigences réglementaires et à l'augmentation du volume de données à traiter, l'industrialisation des processus ESG devient un impératif stratégique pour les acteurs financiers, nécessitant des investissements significatifs dans les systèmes d'information et les compétences analytiques.
Dans le paysage en constante évolution de la finance durable, une tendance significative se dégage de notre baromètre 2025 : contrairement aux indices ESG qui privilégient une approche d'exclusion sectorielle systématique, les fonds d'investissement durables adoptent des stratégies plus nuancées, combinant sélection rigoureuse et engagement actionnarial.
Alors que l'indice Eurostoxx 600 ESG adopte une position radicale en excluant totalement le secteur énergétique, les fonds ESG maintiennent une exposition limitée, avec 2,5% de leurs actifs investis dans des entreprises énergétiques sélectionnées pour leurs engagements en matière de transition. Cette exposition, bien qu'inférieure à celle de l'indice Eurostoxx non-ESG (4,7%), traduit une approche plus nuancée de la transition énergétique.
Notre analyse révèle également que les fonds ESG accordent une importance particulière aux engagements climatiques des entreprises dans leur processus de sélection. 87% des entreprises du top 15 des fonds ESG se sont engagées sur un objectif de limitation du réchauffement à 1,5°C à court terme, validé par l'initiative Science Based Targets (SBTi). Ce chiffre positionne les fonds ESG entre le STOXX 600 Europe traditionnel (80% d'entreprises engagées) et sa version ESG (93%).
L'analyse des performances carbone révèle un paradoxe apparent qui illustre parfaitement la nécessité d'une approche multidimensionnelle. D'une part, l'intensité carbone du top 15 des fonds ESG (1239 tonnes de CO2/millions de revenus) s'avère pratiquement identique à celle du STOXX 600 traditionnel. D'autre part, en termes d'émissions absolues, le top 15 des fonds ESG émet près de trois fois moins que le top 15 de l'Eurostoxx 600 non-ESG.
Cette stratégie "best-in-class", où les gestionnaires sélectionnent au sein de chaque secteur les entreprises les plus avancées en matière de durabilité, démontre la valeur ajoutée de la gestion active dans la finance durable. Elle permet une meilleure diversification, un impact potentiellement plus important, et une vision plus nuancée de la transition que l'exclusion sectorielle systématique pratiquée par les indices ESG.
Notre baromètre 2025 de la finance durable met en lumière des tendances contrastées, révélant à la fois des avancées significatives et des défis persistants dans l'intégration des critères ESG au sein des stratégies d'investissement.
Le décalage entre les ambitions affichées et les pratiques réelles, particulièrement visible dans les politiques d'exclusion des hydrocarbures, appelle à une plus grande cohérence et transparence. L'engagement actionnarial, bien que largement adopté, nécessite une documentation plus rigoureuse pour démontrer son efficacité réelle. Le fossé transatlantique qui se creuse entre l'Europe et les États-Unis redessine la cartographie mondiale de la finance durable, tandis que l'inadéquation avec les futures exigences réglementaires souligne l'ampleur des transformations nécessaires.
Dans ce contexte complexe, la gestion active ESG, privilégiant une approche "best-in-class" et une analyse multidimensionnelle des performances environnementales, apparaît comme une réponse pertinente aux défis de la finance durable. Elle permet de dépasser les approches binaires et de contribuer efficacement à l'accompagnement des entreprises dans leur transition vers des modèles plus durables.
Face à ces défis, l'industrialisation des processus ESG devient un impératif stratégique. Les institutions financières qui sauront mettre en place des systèmes robustes de collecte et d'analyse de données, développer des méthodologies d'évaluation transparentes et cohérentes, et communiquer efficacement sur leurs pratiques et résultats, se positionneront comme les leaders de la finance durable de demain.