Le 16 décembre 2025, le Parlement européen a franchi une étape historique en adoptant l’accord provisoire sur le paquet « Omnibus I ». Ce texte acte une simplification profonde des obligations de reporting de durabilité, répondant aux critiques sur la lourdeur administrative. Mais cette nouvelle version est aussi bien moins ambitieuse pour l’accompagnement de la transition (au moins 80 % des entreprises initialement concernées sortent en effet du périmètre) et va poser de vraies difficultés pour la collecte des données de durabilité.
Les objectifs initialement poursuivis par la CSRD
L'objectif initial de la directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) est de placer les informations de durabilité au même niveau que les informations financières. À l’origine, cette réglementation vise à favoriser une économie européenne durable en fournissant un cadre clair pour la transparence sociale et environnementale. En harmonisant les rapports, l'UE souhaite garantir la comparabilité internationale des données et offrir aux investisseurs un outil de pilotage stratégique fiable. L’enjeu est également de lutter contre le greenwashing.
Pourquoi une révision de la CSRD a-t-elle été décidée par les instances européennes ?
La décision de réviser la CSRD via le paquet Omnibus a été motivée par des impératifs de compétitivité. Les instances européennes ont estimé que la charge administrative et financière pesant sur les entreprises, notamment les entreprises de taille intermédiaire (ETI), risquait d'être disproportionnée et les PME de leur chaîne de valeur.
L’objectif de cette révision est donc de recentrer le dispositif sur les plus grandes entreprises, ce qui permet de réduire d'environ 80 % le nombre de sociétés initialement soumises aux obligations légales. Il s'agit de fournir un cadre plus simple à comprendre et à mettre en œuvre, tout en évitant de submerger les entreprises de demandes de données excessives.
Les étapes qui ont mené à l'adoption de l'omnibus et de la révision de la CSRD
Le processus législatif s'est étalé sur l'année 2025 selon les jalons suivants fournis par les sources :
- 26 février 2025 : La Commission européenne présente la proposition de directive « Omnibus ».
- 3 avril 2025 : Le Parlement européen adopte la proposition « Stop-the-Clock », actant un report de deux ans pour certaines vagues d'entreprises.
- 9 décembre 2025 : Un accord provisoire est trouvé entre le Conseil et le Parlement européen sur le texte final.
- 16 décembre 2025 : Vote définitif du Parlement européen en séance plénière.
- Calendrier futur : La publication au Journal officiel (JOUE) est prévue pour mars 2026, suivie d'une transposition nationale par les États membres dans un délai de 12 mois.
Rappel des obligations initialement prévues avant l'adoption de l'Omnibus
Avant la révision introduite en 2025, le périmètre de la CSRD était nettement plus contraignant pour le tissu économique européen que dans sa version actuelle:
- Des seuils d'application bas : La directive devait initialement s'appliquer aux entreprises répondant à deux des trois critères suivants : plus de 250 salariés, 25 M€ de total bilan ou 50 M€ de chiffre d’affaires (CA).
- Inclusion des PME : Les petites et moyennes entreprises cotées (vague 3) étaient incluses dans le champ d'application avec une obligation de reporting prévue dès 2027.
- Les entreprises devaient se conformer à l'intégralité des standards ESRS (European Sustainability Reporting Standards), incluant de nombreux points de données obligatoires et des normes sectorielles spécifiques en cours de développement.
- Calendrier : la « vague 2 » (grandes entreprises non cotées) devait initialement publier ses premiers rapports bien avant l'échéance de 2028 désormais fixée.
Les nouvelles obligations de la CSRD après adoption de l'Omnibus
Le texte adopté transforme radicalement les exigences de reporting :
- Relèvement massif des seuils : Désormais, seules les entreprises européennes de plus de 1 000 salariés et réalisant un CA annuel net supérieur à 450 M€ sont assujetties. Pour les entreprises hors UE, le seuil de CA réalisé dans l'Union est également fixé à 450 M€.
- Nouveau calendrier : Pour les entreprises de la vague 2, la première publication est reportée à 2028 sur la base des données de l'exercice fiscal 2027.
- Simplification des standards ESRS : Les sources indiquent une réduction drastique de la complexité technique, avec la suppression d'environ 70 % des points de données initialement prévus. L'analyse de la double matérialité est également simplifiée par une approche « top-down ».
- Protection des PME (Value Chain Cap) : Un mécanisme de plafonnement interdit aux grandes entreprises d'exiger de leurs fournisseurs de moins de 1 000 salariés des informations dépassant le cadre du standard volontaire VSME. Les PME disposent ainsi d'un véritable « droit de refus » face aux questionnaires excessifs.
- Exemptions et options : Les PME cotées et les holdings financières sont officiellement exclues du champ obligatoire. Les institutions financières bénéficient d'une option de retrait (opt-out) jusqu'au 31 décembre 2027, leur permettant de ne pas publier de KPIs détaillés s'ils ne revendiquent pas d'activités alignées avec la Taxonomie.
- Taxonomie verte : Un seuil de matérialité financière de 10 % est introduit pour l'évaluation de l'éligibilité et de l'alignement des activités économiques.
Prochaines étapes opérationnelles : l'agenda de mise en œuvre
Le cadre législatif étant désormais stabilisé, la phase de mise en œuvre technique s'engage selon plusieurs chantiers parallèles.
- Transposition nationale (échéance 2026) : Les États membres disposent d'un délai d'un an suivant la publication au JOUE pour transcrire les nouvelles directives dans leur droit national, générant potentiellement des variations d'interprétation et de modalités d'application selon les juridictions.
- Validation des normes ESRS révisées (mi-2026) : La Commission européenne doit transformer l'avis technique de l'EFRAG en acte délégué officiel, conférant une force juridique contraignante aux standards simplifiés. Cette étape technique est cruciale pour fournir aux entreprises le référentiel définitif.
- Déploiement du portail numérique ESRS Knowledge Hub : L'EFRAG a lancé début décembre 2025 ce portail centralisé destiné à consolider l'ensemble des normes, guides d'application et foires aux questions. Cet outil vise à faciliter l'appropriation pratique des standards par les praticiens.
- Clause de revoyure (horizon 2031) : Les seuils d'application actuels pourront être révisés par l'Union européenne, introduisant une dimension évolutive dans le dispositif. Cette clause de revoyure permettra d'ajuster le périmètre en fonction des retours d'expérience et de l'évolution du contexte économique.
Implications stratégiques : au-delà de l'obligation légale
Malgré l'exclusion juridique d'environ 80% des entreprises initialement concernées, le reporting de durabilité demeure un enjeu économique majeur, désormais qualifié de « passeport pour accéder au marché ».
L'engagement volontaire dans une démarche de reporting structurée reste stratégiquement pertinent pour plusieurs raisons convergentes.
- Sécurisation de la chaîne de valeur : Le mécanisme du Value Chain Cap standardise les attentes des grands donneurs d'ordres autour du référentiel VSME. La maîtrise anticipée de ce standard permet de répondre efficacement aux demandes des clients et de se prémunir contre des questionnaires ad hoc potentiellement plus exigeants.
- Accès privilégié au financement : Les établissements bancaires et investisseurs institutionnels continueront d'utiliser les données ESG pour évaluer les risques extra-financiers dans leurs décisions d'allocation de capital. Une entreprise documentant sa performance ESG selon des standards reconnus accédera plus aisément à des financements verts, à des conditions tarifaires bonifiées ou à des lignes de crédit dédiées à la transition.
- Pilotage stratégique de la performance : Le reporting constitue un levier de pilotage interne permettant de structurer une feuille de route ESG cohérente, de fédérer les équipes autour d'objectifs communs et de mesurer les progrès dans la durée.
- Gestion proactive des risques réputationnels : L'absence de transparence expose les entreprises à des controverses émanant de consommateurs sensibilisés, de collaborateurs attentifs aux engagements de leur employeur et d'une société civile de plus en plus vigilante. La transparence volontaire constitue une forme d'assurance réputationnelle.
Conclusion : un équilibre pragmatique entre ambition et faisabilité ?
La réforme de la CSRD via le paquet Omnibus matérialise une inflexion pragmatique dans la stratégie européenne de transparence extra-financière. En concentrant les obligations légales sur les très grandes entreprises tout en créant un écosystème volontaire structuré pour les autres acteurs, l'Union européenne tente de concilier ambition environnementale et impératifs de compétitivité.
Le succès de cette architecture révisée dépendra de la capacité des entreprises à s'approprier les standards simplifiés et de celle des acteurs financiers à valoriser les démarches volontaires au-delà du strict périmètre réglementaire. Dans un contexte de transition accélérée, la transparence demeure un atout stratégique différenciant, indépendamment des obligations formelles.