La Commission Européenne a lancé, au cours du mois de mai, une consultation concernant la révision de SFDR, afin de recueillir une nouvelle fois les avis des différentes parties prenantes - acteurs financiers, ONG et régulateurs - relatives à cette refonte, prévue pour être annoncée fin 2025. Cette mise à jour réglementaire porterait notamment sur une simplification des exigences en matière de publication d'information et sur la création d’une nouvelle catégorisation de produits financiers, qui remplacerait les Articles 6, 8 et 9 utilisés aujourd’hui.
Pour comprendre la position des acteurs de la Place vis-à-vis de ces futures évolutions réglementaires, nous avons mené une analyse des principales tendances émergentes de leurs contributions :
Plusieurs ONG (UN PRI & IFD) et sociétés de gestion soutiennent l’idée d’un élargissement du scope de SFDR à tous les produits financiers, y compris les fonds non cotés, les produits structurés ou produits d'assurance tels que les fonds euros, afin d'accroître l’information disponible en matière de durabilité. D’autres acteurs s'inquiètent de la faisabilité d’appliquer des critères communs à des classes d’actifs très différentes.
🔍 Une grande part des répondants à cette consultation appelle la Commission Européenne à réaliser des tests avant de décider des critères pour chaque catégorie. Dans le cadre d’une extension du scope de SFDR à tous les produits, certains acteurs tels que l’Institut de la Finance Durable encouragent également la Commission européenne à envisager des critères différents selon les catégories d’actifs.
· 2 catégories “Durable” et “Transition”
Les régulateurs HANFA (Croatie), AFM (Pays-Bas), BaFin (Allemagne), FMA (Autriche) sont en faveur de seulement 2 catégories, “durable” et “transition” pour éviter de retomber dans les écueils de l’actuel SFDR en ajoutant une catégorie « ESG Focus ». Cette initiative est également soutenue par des acteurs financiers français.
· 3 catégories “Durable, “Transition” et “ESG Focus”
L’AMF ainsi que d’autres acteurs financiers français soutiennent l’ajout de 3 catégories afin de s’adapter à plusieurs ambitions ESG.
· 4 catégories “Impact”, “Durable”, “Transition” et “ESG focus”
📌 Un alignement avec SDR : Des acteurs britanniques, notamment des sociétés de gestion et des ONG, soutiennent la mise en place d’un système de catégorisation similaire à la SDR afin de faciliter l’harmonisation avec le Royaume-Uni.
Tous les répondants à la consultation invitent la Commission Européenne à intégrer plus largement SFDR 2.0 dans le paysage réglementaire de la finance durable. Parmi les mesures phares nous identifions :
· La révision des réglementations MIFID II et DDA pour adapter les questions posées aux investisseurs aux nouvelles catégories.
· L’intégration de la directive de l’ESMA sur les noms des fonds dans les catégories SFDR. Les catégories “Durable” et “Transition” devraient ainsi respecter les exclusions PAB et CTB spécifiques aux termes ESG employés.
· La prise en compte des impacts liés à la directive Omnibus, notamment la réduction drastique des points de données (ESRS), qui ne seraient finalement pas communiquées par les entreprises non financières.
📌 Le régulateur FSA Norway promeut l’idée de la suppression de l’obligation de prendre en compte les risques en matière de durabilité car cette obligation existe déjà dans d’autres réglementations telles que la directive UCITS 2009/65/EC et la directive 2011/61/EU (AIFMD). Cette mesure permettrait d’éviter une charge administrative trop importante et un effet de double reporting.
📌 Des acteurs britanniques et français proposent également d’intégrer les labels nationaux dans cette révision afin de s’appuyer sur les initiatives qui imposent déjà des critères ESG.
Il existe un consensus global des ONG, acteurs financiers et régulateurs, sur une définition précise et normée du concept d’investissement durable afin de limiter le risque de greenwashing et de faciliter la comparaison entre les fonds. Cette définition pourrait également s’inspirer de réglementations qui existent déjà comme la Taxonomie Européenne.
🔍Certains acteurs financiers et régulateurs (Banque Centrale d’Irlande) proposent également de clarifier la définition des activités en transition afin de classer plus facilement les investissements dans les différentes catégories.
De nombreux acteurs financiers, soutenus par le régulateur luxembourgeois CSSF, appellent à la simplification des templates et des obligations de reportings :
· Les annexes précontractuelles et périodiques doivent être simplifiées et réduites, éventuellement se limiter à 3 pages maximum.
· Une nouvelle section au DIC devrait être ajoutée pour y inclure la stratégie du fonds (durable, en transition, ESG focus).
· Le template de reporting des PAI doit être généralisé et simplifié.
📌 Certains acteurs français et italiens plaident en faveur de la mise en place d’un modèle de reporting à deux niveaux. Le premier niveau s’appliquerait à l’ensemble des fonds, instaurant une obligation généralisée de publication d’informations ESG, y compris pour ceux actuellement classés en Article 6. Le second niveau correspondrait à un reporting approfondi, spécifiquement destiné aux fonds intégrant des objectifs d’investissement responsable.
Interview avec Florent Deixonne, responsable de la stratégie réglementaire ESG chez Amundi
Depuis 2022, Florent Deixonne pilote la stratégie réglementaire ESG d'AMUNDI, qui gère plus de 2 000 milliards d’euros d’actifs à l’échelle mondiale. Contacté à la suite de sa réponse à la consultation de la Commission Européenne sur la refonte de la réglementation SFDR, il livre ici un aperçu des débats et réflexions présents sur la Place afin de rendre cette réglementation plus efficace.
Au niveau européen, il semble y avoir un débat entre définir les futures catégories de produits SFDR « volontaires » versus « obligatoires ». Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Le plan d’action européen en matière de finance durable, incarné en partie par la mise en œuvre de la SFDR, a profondément modifié le paysage européen des fonds durables, de manière positive. Toutefois, la SFDR n’a pas pleinement répondu aux attentes initiales. Alors que SFDR visait à segmenter clairement l’univers des fonds, le marché reste dominé par les fonds relevant de l’article 8, dont la définition insuffisamment précise génère à la fois une confusion pour les investisseurs finaux de ce qu’est un produit durable et donc un risque de perception de greenwashing. Par ailleurs, la SFDR ne prenant pas en compte l’enjeu crucial de la transition, elle ne favorise pas la réorientation des flux de capitaux à ce titre.
Concernant la refonte de SFDR 2.0, l’orientation va vers la création de catégories produits clairs et intelligibles, indispensables pour le client final Retail, qu’il faut enfin remettre au centre des réflexions.
Des catégories « volontaires » font penser à un concept de « labels » ce qui ne serait pas un bon message car ceci n’est pas la demande du marché. Mais le vrai débat sur la Place est de savoir si les fonds ne répondant pas aux critères d’une catégorie produits pourraient tout de même mentionner l’ESG dans leurs documents réglementaires.
La réponse est oui, les fonds devraient être autorisés à pouvoir intégrer des éléments ESG dans leur documentation mais sous certaines conditions, c’est-à-dire de manière limitée et proportionnelle, visant à assurer une transparence adéquate sans risque de greenwashing.
Les produits catégorisés n’auraient eux aucune limite, notamment l’usage de termes ESG dans les noms des fonds ainsi qu’au sein des documentations commerciales.
Pensez-vous que l’objectif de remplacer la définition d’investissement durable par l’alignement à la taxonomie est une bonne initiative ? Une standardisation plus poussée ne risque-t-elle pas d'entraver certains acteurs dans leur démarche de finance durable ou de freiner l'innovation dans ce domaine ?
L’objectif principal de SFDR doit être de concevoir des produits réellement investissables et de créer des catégories pertinentes pour les investisseurs.
Même si la taxonomie est un outil puissant, elle ne permet pas, en l’état, de définir des catégories de produits. Elle reflète une économie encore largement non durable : très peu d’émetteurs sont aujourd’hui alignés avec ses critères. Imposer des seuils d’alignement taxonomique élevés pour qualifier un fonds de “durable” risquerait de produire soit des fonds très “niches” peu attractifs, soit des fonds peu diversifiés exposés à des distorsions sectorielles importantes, synonymes de profil de risques particuliers.
La taxonomie ne constitue donc pas aujourd’hui un cadre adapté pour définir à elle-seule l’investissement durable ni pour structurer des catégories de produits. Si la notion d’investissement durable reste critiquable dans la mesure où elle ne permet pas une comparaison claire entre les acteurs, elle est néanmoins utilisée par l’ensemble des acteurs.
Spécifiquement pour la catégorie « Durable », il pourrait donc être pertinent (i) de réutiliser ce concept d’investissement durable tout en imposant plus de transparence sur les méthodologies, (ii) pour ceux qui le souhaitent, c’est-à-dire de manière volontaire, utiliser une approche taxonomie, étant donné l’existence de ce référentiel.
Intégrer les labels nationaux comme le label ISR dans cette révision afin de s’appuyer sur les initiatives qui imposent déjà des critères ESG. Qu’en pensez-vous ? Considérez-vous que cela puisse apporter de la crédibilité aux nouvelles catégories SFDR 2.0 et faciliter leur adoption ?
Les labels nationaux ont le mérite d’exister, bénéficient de la confiance des clients Retail et sont largement utilisés par ces derniers. Il est donc essentiel de les valoriser dans la construction des futures catégories, notamment en envisageant une reconnaissance automatique de la conformité des fonds labellisés. Par exemple, les fonds labellisés ISR pourraient être intégrés à la catégorie ESG Focus, tandis que ceux s’appuyant sur les indices de référence PAB ou CTB pourraient relever de la catégorie Transition. L’objectif n’est pas d’avoir des labels à côté des catégories produits mais de garantir, pour les fonds labellisés, une entrée automatique dans l’une de ces catégories.
Pour la catégorie transition, faudrait-il imposer des critères stricts fondés sur des plans de transitions afin d’assurer une harmonisation entre les acteurs ou bien avoir une approche plus ouverte ?
Il faut trouver le bon équilibre entre critères robustes et investissabilité. Une catégorie “Transition” fondée exclusivement sur la taxonomie ou limitée aux plans de transition parfait aboutirait à un portefeuille certes très pur, mais inadapté pour répondre aux véritables enjeux de la transition car les émetteurs choisis seront déjà verts ou auront déjà largement entamé leur transition (déjà net-zéro). Un tel produit deviendrait niche, avec une portée limitée.
La catégorie Transition doit également pouvoir inclure l’ensemble des émetteurs engagés sur une trajectoire de transition (les « Improvers », « Transitioners »,), que ce soit par une réduction effective de leurs émissions et/ou par la définition d’objectifs ambitieux, répondant à des critères robustes et prédéfinis sans pour autant être déjà Net-Zero. À l’inverse, elle doit exclure les émetteurs ne manifestant ni la volonté ni la capacité d’évoluer vers un modèle plus durable. Tout l’enjeu de cette catégorie transition est alors d’identifier ces différents types d’acteurs.
Il est donc nécessaire de définir une liste restreinte de critères, s’appuyant à la fois sur les réglementations existantes, telles que l’alignement avec les indices PAB ou CTB, ou la taxonomie européenne, et sur certaines initiatives de place reconnues, comme les cadres Net-Zéro.
L’ONG portugaise Better Finance propose de rendre obligatoire l’engagement systématique dès lors que le fonds appartient aux catégories durable ou transition, bonne ou mauvaise idée ?
L’engagement est un levier indispensable pour faire évoluer les pratiques et devrait être obligatoire pour la catégorie de fonds “Transition”. Cette approche permettrait d'identifier et d'accompagner étroitement les sociétés en phase d'amélioration (“Improvers” ou "Transitioners"), facilitant ainsi leur progression vers un modèle économique plus durable. Mais il s’agit d’un outil très chronophage qui nécessite d'importants moyens humains et financiers. Si l’on souhaite en faire une condition obligatoire, il est crucial d’en définir précisément le périmètre. L’engagement devrait ainsi se concentrer prioritairement sur les émetteurs ayant un fort impact climatique.
Cependant, il n’est pas nécessaire d’en faire une exigence obligatoire pour la catégorie “Durable”. Il serait plus pertinent de s’aligner sur les bonnes pratiques de marché et sur les approches déjà mises en œuvre par les acteurs convaincus de la valeur ajoutée de l’engagement. Ces derniers mènent généralement ces actions au niveau de la société de gestion, dans une logique globale et cohérente.
Dans votre réponse à la consultation, vous mettez en avant l’obligation de reporting pour tous les fonds, ESG ou non ESG : Sur quelles informations liées à la durabilité ces derniers devraient-ils tous reporter selon vous ?
La refonte de SFDR doit mener à une simplification radicale, tout en évitant l’effet “boite noire”. Tous les fonds devraient être soumis à un socle commun d’exigences de transparence, incluant notamment la publication de certains indicateurs PAI et les exclusions appliquées, pour apporter simplicité et comparabilité.
Les fonds catégorisés, quant à eux, doivent répondre à des exigences de transparence supplémentaires relatives notamment aux critères sur lesquels ils se sont engagés.
Vous soulignez la nécessité de repenser les réglementations SFDR et MIFID pour mieux répondre aux besoins des investisseurs particuliers, position que nous partageons pleinement. Selon vous, comment concilier efficacement l'exigence de pédagogie et de clarté envers les investisseurs particuliers avec le respect d'une réglementation imposant une transparence approfondie et la communication d'informations complexes en matière de durabilité ?
Aujourd’hui, le cadre réglementaire en matière de finance durable est devenu une véritable cathédrale, censée permettre aux clients de prendre des décisions éclairées. Pourtant, en l’absence de tests préalables visant à comprendre et évaluer les besoins des clients, l’objectif initial n’a pas été atteint.
Il est indispensable de replacer le client Retail au centre des discussions réglementaires, ce qui implique notamment de mieux comprendre ses préférences, être capable de vulgariser la complexité des concepts et renforcer l’éducation extra-financière. De plus, aujourd’hui, on laisse entendre au client qu’un investissement durable ne comporte aucun coût et qu’il existe des produits parfaits répondant à toutes les attentes, ce qui est illusoire. Une meilleure pédagogie sur les avantages, les limites et les compromis inhérents à l’investissement durable est donc essentielle. Par exemple, exclure des secteurs entiers (ex : secteur du pétrole et du gaz) peut se traduire par une moindre diversification du portefeuille et donc un risque accru.
La réglementation ainsi que les conseillers financiers qui l’appliquent doivent redoubler d’efforts pour adapter leur discours et leurs outils aux besoins réels des clients. Dans cette perspective, la revue de SFDR 2.0 doit être concomitante avec une revue de la réglementation MIFID, notamment le questionnaire de préférences de durabilité, avec évidemment des tests clients pour mieux calibrer les futurs dispositifs.